Documentation hypertextuelle

L’informatique permet à tous d’accéder à de nouvelles pratiques documentaires. Les communautés du logiciel libre et de l’open source se rassemblent pour concevoir et développer de nouveaux outils qu’ils partagent au monde dans une logique d’ouverture qui commande et façonne ces logiciels. Ils ont libéré une pratique du texte numérique : le texte brut et ses nombreuses qualités, mais aussi la recherche de nouveaux outils heuristiques pour une lecture adaptée aux outils modernes et favorisant la sérendipité.

Nous allons utiliser le matériel et le vocabulaire des développeurs, des architectes du numérique, dont le travail de fond abstrait requiert une « hygiène informationnellef » et un sens de la structure exemplaires. Ainsi, nous allons nous évoquer des prémisses théoriques pour la conception d’une base documentaire personnelle et évoquer de nombreux outils pour la soutenir.

Les pratiques documentaires dont il est question sont bientôt centenaires. Il faut remonter à l’entre-deux-guerres, bien avant les débuts de l’informatique, pour comprendre la démarche de logiciels développés à partir des années 1980. C’est aussi l’histoire de l’hypertexte sur laquelle nous allons revenir dans un premier temps.

Nous allons évoquer ces concepts techno-documentaires et nous intéresser à une série de logiciels et d’applications permettant à chacun de créer son système, souple et robuste. À travers le prisme de ces logiciels, nous allons tenter d’adopter un point de vue sur les pratiques de documentation personnelle actuelles ; c’est un jeu de références, à trois niveaux, de l’utilisateur vers ses documents, entre les documents et en leur sein. Nous commencerons par les pratiques d’écriture dans la deuxième partie de cet article et nous poursuivrons par les pratiques de lecture dans la troisième avant de conclure.

1 Hypertexte

Le mot « hypertexte » est apparu dans les années 1960, prononcé par Ted Nelson. Il s’inspire lui-même des travaux de Vannevar Bush. Il évoque « une écriture-lecture non-linéaire donnant à l’utilisateur une liberté de mouvement » au sein d’une base documentaire. Le terme de base est important puisqu’il suggère un espace fini de documents rangés (classés, indexés), dédiés à la consultation (dispositifs de lecture). L’hypertexte comme concept, mais aussi comme outil, va nous permettre de nous déplacer au sein de cette base, entre les documents.

1.1 Histoire pré-informatique

L’histoire de l’hypertexte débute bien avant le Web et l’informatique, dans les années 19301. Des chercheurs travaillent sur des outils de gestion de l’information dans une période d’entre-deux-guerres. Il s’agit notamment de deux personnes, Paul Otlet et Vannevar Bush. On leur associe à chacun une œuvre écrite majeure – respectivement le Traité de documentation (1934) et l’essai *As We May Think** (1945) –, ainsi qu’un projet concret issu de leurs recherches – le Mundaneum et le Memex. Nous parlerons enfin de l’inventeur Emanuel Goldberg qui contribue largement à ces deux projets.

1.1.1 Systèmes documentaires

1.1.1.1 Classer avec Paul Otlet

Paul Otlet, bibliographe et pacifiste belge, imagine classer le monde, ou plus précisément toutes les œuvres existantes. C’est cette démarche pluridisciplinaire qui donnera le Mundaneum, ainsi que le besoin fondamental de faire des techniques bibliothéconomiques (classement, indexation) et d’archivistique une discipline scientifique et ainsi universelle. C’est ce qui mènera Paul Otlet à concevoir la Classification Décimale Universelle (CDU) et à imaginer des processus autour du documents décrits dans le Traité de documentation.

Paul Otlet y distingue sept étapes pour classifier la connaissance humaine, en partant des « choses » pour aboutir aux encyclopédies. C’est ce format documentaire qu’il estime optimal pour enregistrer et exploiter de la connaissance. Otlet prescrit pour constituer une encyclopédie des étapes préalables d’étude. D’abord l’étude scientifique, puis l’étude bibliologique, pour respectivement traiter le contenu puis sa place dans l’encyclopédie. L’encyclopédie est enfin une base documentaire réticulaire : une somme de documents interreliés tel qu’on conçoit aujourd’hui Wikipédia et ses nombreux liens internes2.

Paul Otlet imagine également les dispositifs permettant de recueillir les informations pour constituer une encyclopédie mondiale, ainsi que les dispositifs pour la lire. Il s’agit du cosmographe et du cosmoscope3, dont la combinaison permettrait à chacun d’écrire et lire dans cette « hyperdocumentation »4. Le Web est la version imparfaite de cette idée évoquée par Paul Otlet, cinquante ans avant sa conception. Elle est reprise par quelques plateformes ; nous y reviendrons en évoquant les wikis.

Ainsi Paul Otlet établit une méthode rigoureuse dont nous pouvons également tirer des enseignements pour un système documentaire personnel : une mise à l’épreuve de l’information, des dispositifs de transcription et de lecture. Nous y reviendrons.

1.1.1.2 Chercher avec Vannevar Bush

Si Paul Otlet théorise une organisation et des dispositifs universels et internationaux, Vannevar Bush travaille l’interface extra-individuelle. Il veut augmenter la mémoire humaine, en taille, en pérennité et théorise le Memex (MEMory EXtender). C’est un bureau pourvu d’écrans, d’une platine avec un appareil photo, de manivelles et de boutons, matériel avec lequel il est possible de visualiser une suite de documents photographiés (ancêtre de la numérisation) indépendamment de l’ordre de leur enregistrement.

Vannevar Bush suit parallèlement cette idée de documentation non-linéaire de l’encyclopédie : des liens internes guident la lecture plutôt que l’ordre des pages. La lecture débute non pas par le premier document, mais depuis le sommaire, un index des pages comme dans un ouvrage, comme sur une page de résultats de moteur de recherche ou encore comme sur une notice où l’on a noté la combinaison de touches (identifiant) pour accéder à tel document du Memex. Ces différentes logiques s’appliquent à différents dispositifs pour différentes bases et ont la même origine. L’auteur d’une encyclopédie, un internaute ou un utilisateur du Memex tissent le maillage interne d’une base documentaire.

Vannevar Bush décrit dans As We May Think plusieurs processus de recherche5 très concrets pour des chercheurs, des avocats ou toute personne dont la profession implique une recherche documentaire. Il décrit des personnes qui vont s’interroger sur une problématique, consulter les bobines magnétiques de leur Memex à ce sujet, y enregistrer d’autres ressources, les relier, les annoter et enfin partager ce travail ; il suffira de dupliquer le contenu de la bobine.

« L’héritage d’un maître n’est plus seulement ce qu’il apporte au savoir humain, c’est aussi l’ensemble des réseaux et itinéraires lui ayant servi à échafauder à sa pensée.6 »

L’idée du Memex apporte à son tour de nombreuses notions utiles à nos bases documentaires individuelles : chaque document est numérisé, possède un identifiant (appelé avec les boutons), est enregistré dans un espace réticulaire dont l’interface est partagée en différentes vues. Nous y reviendrons également.

1.1.2 La fiche

Dans son Mundaneum, Paul Otlet a dû mettre en place des outils pour appliquer sa méthode documentaire, parmi lesquels la fiche. Nous allons également faire référence à Niklas Luhmann et son Zettelkasten – littéralement « boîte à fiche ». Ces deux personnes ont reconnu dans leur système un nouveau moyen d’accéder à l’information par des procédés innovants portés sur ce format dont Jean-François Bert énumère les qualités documentaires7 :

Nous allons voir que la fiche est toujours un modèle profondément ancré dans nos usages numériques, notamment dans le domaine de la gestion de base de connaissances. Enfin, ces systèmes reposent sur la bonne gestion des métadonnées, des informations permettant d’utiliser nos fiches, articulées au sein d’une base et non simplement stockées dans un dépôt.

La fiche est un objet essentiellement modulaire. Elle est composée d’éléments sécables et intègres et est elle-même la pièce d’un puzzle. Nous retrouverons ces notions en évoquant les hyperliens, mais aussi les vues.

1.1.2.1 Le micofilm

Entre Paul Otlet et Vannevar Bush, nous retrouvons Emanuel Goldberg et ses fiches en microfilm9. Cet ingénieur et chercheur va expérimenter la photographie en créant différents appareils photo et caméras, mais aussi un support de stockage innovant. Il invente le Mikrat, un microfilm, qu’il présente au 6ème Congrès international de photographie à Paris, en 1925. Ce support iconographique miniature doit être consulté au microscope. Le système intrigue les bibliothécaires, intéressés par le gain de place considérable, et Emanuel Goldberg va avec Paul Otlet travailler sur un système de bibliothèque portable.

Emanuel Goldberg va également créer un sélecteur rapide pour ses microfilms. Il devient possible de sélectionner un de ces supports en saisissant une combinaison de touches. Ce sont les fonctions clés du Memex ; les microfilms contiennent les photographies des documents et sont stockés dans une bobine puis appelés via le clavier. Emanuel Goldberg apporte tous les éléments techniques à la « fiction technique »10 de Vannevar Bush, de la photographie à sa visualisation en passant par son enregistrement.

Les expériences de Emanuel Goldberg nous montrent bien que l’idée de la fiche comme outil de connaissance est incomplète sans une réflexion sur son support, son intégration dans un flux. Vannevar Bush a pu voir l’opportunité d’un système de fiche dans la perspective d’une série de techniques.

1.1.2.2 Zettelkasten

On retient chez Paul Otlet et Niklas Luhmann l’intention commune de cadrer la rédaction de ces fiches en élaborant un modèle à partir d’une méthode simple et de les entreposer dans des meubles en vue de les retrouver, ainsi que les informations qu’elles contiennent.

La technique est ici humaine, non mécanisée, mais repose également sur quelques dispositifs. Il n’y a aucun sélecteur rapide ou clavier, mais des identifiants permettent de retrouver logiquement une fiche parmi la masse. On ajoute éventuellement des étiquettes ; autant d’annotations11 qui permettent à la fiche de s’intégrer dans l’espace documentaire, la base dont elle dépend.

L’identifiant est une métadonnée essentielle, inscrite en haut du support. Il s’agit d’une suite de chiffres inscrite selon la hiérarchie des fiches : Une fiche est subordonnée à une autre dans la mesure où elle évoque le même sujet. Par accumulation on créé une arborescence de fiches comme présentée ci-dessous.

.
    ├── 1
    │ ├── 1/1
    │ │ ├── 1/1/1
    │ │ └── 1/1/2
    │ └── 1/2
    ├── 2
    └── 3

La fiche 1/1/2 est subordonnée à la 1 : elle aborde un sujet proche.

Au bas de chaque fiche il est possible de noter l’identifiant d’autres fiches, d’inscrire des renvois. On retrouve là l’idée de lecture non-linéaire du Memex et de l’encyclopédie. À ces systèmes de rangement vertical et de relation horizontale on ajoute un système transversal de catégories. Il est possible de marquer un groupe de fiches par une couleur, qu’elles soient ou non en lien ou qu’elles partagent ou non un parent.

On retrouve des systèmes de rangement de fiche dans des tiroirs dès le 16ème siècle12, mais c’est une méthode, simple et efficace, qui aura fait la différence. Même dans la version numérique que nous allons évoquer plus loin, une adaptation personnelle de la méthode Zettelkasten doit rester simple à mémoriser et à mettre en place. Sans cela, un utilisateur pourrait manquer d’efficacité et ainsi perdre l’intérêt du processus.

Luhmann reconnaîtra lui-même que ce système l’a aidé dans sa rédaction prolifique : soixante-dix livres et quatre cents articles rédigés à l’aide de ses quatre-vingt-dix mille fiches issues de ses quarante années de carrière pluridisciplinaire. Ainsi, on comprend que l’intérêt d’un tel système augmente au fur et à mesure que les fiches s’accumulent.

Le site web https://zettelkasten.de/ est dédié à cette méthode, ainsi que le logiciel The Archive qui en ait inspiré. D’autres logiciels, souvent libres et gratuits, facilitent la mise en place de ce système.

1.1.2.3 Format de fiche

La fiche n’est pas nécessairement vierge avant d’être complétée pour devenir une notice bibliographique ou une note. On peut guider ce processus par des tracés, des étiquettes, situés où doit être inscrite telle information. C’est un formulaire. Otlet et ses secrétaires complètent des fiches standardisées 125 × 75 mm en remplissant des champs tels que décrits ci-dessous :

« Des fiches qui nécessitent aussi l’emploi d’un papier fort, qui seront perforées vers le bas, et dont la composition sera entièrement normalisée. Sur la gauche, le nom de l’auteur et son prénom entre parenthèses. À droite, un chiffre international, tiré de la CDD. Sur la seconde ligne, la date de publication, le titre de l’ouvrage in extenso. Puis viendront les indications de lieu, d’édition, d’impression »13

1.1.2.4 Sérendipité

L’objectif ultime de l’hypertexte en tant qu’outil est d’entrer en synergie avec notre manière de penser. Notre esprit procède notamment par associations : on estime qu’une idée est le résultat de la combinaison d’autres idées, elles-mêmes synthèses de champs conceptuels plus ou moins larges, puisés dans une galaxie de connaissances.

graph LR
        pomme((pomme))
        pomme -->|forme| ballon((ballon))
        pomme -->|concept| arbre((arbre))
        arbre -->|concept| feuille((feuille))
        ballon -->|concept| sport((sport))
        feuille -->|son| vent((vent))
        arbre -->|lieu| annimaux((annimaux))

« toute l’acquisition du langage consiste à associer des mots et des objets, à désigner des abstractions par des concepts […] tout effort intellectuel, du plus simple au plus complexe, passe par l’activation d’un réseau d’associations qui permettent à la pensée de se mettre en place et de saisir les objets et/ou les concepts qu’elle vise à appréhender »14

C’est de là que vient le besoin de « non-linéarité » que l’on évoquait dans la définition de Ted Nelson : on ne peut saisir une idée sans saisir son champ. Lequel ne s’étend pas de manière linéaire pour mener à notre concept, mais de manière rhizomatique15 : toute idée peut réciproquement en influencer une autre. Ainsi, un concept a une cardinalité, il est l’origine d’un ensemble de liens. Enfin, cette cardinalité vient du réseau des identifiants.

« la méthode de stockage ne doit pas imposer ses propres restrictions aux informations. C’est pourquoi un «réseau» de notes avec des liens (comme des références) entre eux est bien plus utile qu’un système hiérarchique fixe »16

Plus il y a de fiches dans notre Zettelkasten, plus il y a de voies vers les différents concepts qu’il intègre. Ces concepts peuvent être appréhendés avec plus de nuance, de référence et donc de richesse. Ce que nous nous proposons d’étudier est un processus incertain qui ne commencera à porter ses fruits qu’au bout d’un certain temps. Revenir en profondeur sur ces principes c’est nous donner la possibilité de construire une vue d’ensemble sur nos pratiques documentaires modernes pour répondre à des enjeux de mémoire, de réflexion, d’heuristique.

1.1.3 Fiche numérique

1.1.3.1 HyperCard

Dans le domaine des bases de données, numériques ou analogiques, on peut choisir d’utiliser un formulaire pour générer et compléter des fiches. Ces dispositifs nous permettent éventuellement d’automatiser un certain nombre d’opérations comme la vérification de la saisie selon un lexique limité ou bien un format, un type particulier de données. Ce formatage nous permet ensuite d’imaginer des applications : information, publication, authentification ou autres.

Le logiciel grand public HyperCard (1987) d’Apple est l’un des premiers à permettre de constituer sa base de données personnelle sur ordinateur. L’utilisateur peut définir son propre modèle des données. Il s’agit de définir les champs de formulaire (métadonnées) pour guider la saisie et en fonction de l’utilisation ultérieure des fiches. L’utilisateur peut ensuite générer des « cartes » avec des textes et images. Elles sont stockées dans une « pile » et deux flèches permettent de les faire défiler.

L’utilisateur souhaite par exemple créer une base de données de contact. Il créer un formulaire avec les champs (métadonnées) « nom », « adresse mail » et « numéro de téléphone ». Il indique que le dernier champ ne peut contenir que des chiffres. Il complète et soumet le formulaire pour chaque personne et génère autant de « cartes » dans sa « pile ». Il s’assure ainsi que toutes les cartes contiennent le même type d’information pour l’usage prescrit. On parle d’intégrité de la base de données.

HyperCard a apporté un autre outil à ses utilisateurs : un langage de programmation pour formuler des requêtes et automatiser des traitements intra-/inter-pile. C’est le langage HyperTalk dont la syntaxe est très proche de l’anglais oral. Ces requêtes peuvent être fixées des boutons permettant à l’utilisateur de créer une interface pour utiliser sa base de données. Voici deux requêtes. La première ouvre une boîte de dialogue et la seconde modifie la valeur de la métadonnée « display » d’une carte :

ask "What is the value?"
    put it into card field "display"

« It’s kind of the freedom to organize the information, according to are things or associate with each other, not just according to the next in the list »17

À l’inverse, de plus en plus de logiciels occultent ces démarches techniques complexes. Le formulaire est pré-conçu, la saisie simplifiée sinon automatique et il impossible de consulter la base en détails. Certes, nous produisons des contenus rapidement, mais nous perdons en contrôle et en littératie, car on ne sait pas comment fonctionnent nos application, où vont les données, comment les récupérer, les réutiliser. Parler d’un système de documentation personnelle comme nous le faisons, c’est aussi poser la question de notre rapport à nos données.

1.1.3.2 De la fiche à l’objet

En complétant un formulaire quelconque, on crée ce qu’on appelle en informatique un objet. Dans le vocabulaire de la programmation, le formulaire est une classe et l’objet, la carte ou la fiche, est une instance de cette classe. Soumettre le formulaire revient à instancier une fiche. Cette notion d’instance signifie héritage : une fiche hérite strictement des métadonnées prévues par le formulaire.

Compléter cent fois le formulaire permet de créer (instancier) autant d’objet dont la structure de métadonnées est identique (héritage commun). Ces fiches sont stockées dans un même espace : une « pile » d’HyperCard ou, plus abstrait, un SGBD (système de gestion de base de données) comme PHPMyadmin.

Un objet est un artefact indépendant. Il n’est pas palpable, mais il est une réalité, dans un espace numérique. L’espace numérique, celui de notre base, est formé par les relations entre ses objets. Le tout forme une structure (une encyclopédie, un tiroir de Zettelkasten, une bobine une Memex etc.) et c’est elle qui va nous permettre de parcourir les fiches, grâce à leurs métadonnées. On peut imaginer des cartes possédant toutes une date de création, un titre et une rang ; ce sont autant de critères de classement, de tri. Comme avec le Zettelkasten de Luhman, plus il y a d’objets, plus le traitement est riche.

Analogique Informatique
meuble base de données
modèle classe
méthode formulaire
fiche objet

Présentation explicite du parallèle entre fiche papier et la fiche comme objet numérique.

Depuis les travaux de Vannevar Bush, les moyens changent, le vocabulaire, les outils, mais l’intention demeure. Ainsi, l’identifiant est un élément fondamental, commun à la fiche de Zettelkasten et à l’objet. Au sein de ces systèmes documentaires, chaque fiche, chaque objet doit pouvoir être précisément nommé et localisé pour pouvoir exécuter des opérations depuis une boîte de commande, en HyperTalk, en SQL ou via l’interface graphique d’un logiciel. Nos systèmes analogiques comme numériques ne supportant pas l’ambiguïté : une valeur manquante peut faire échec à ce système.

1.2 Édition des fiches

Une fois la fiche repérée dans l’espace numérique grâce à son identifiant, des logiciels permettent via une interface d’apporter des modifications à une fiche en profitant d’outils puissants comme par exemple la recherche plein texte ou le remplacement de caractères grâce aux expressions régulières (regex).

Le logiciel Zettlr va jusqu’à proposer des outils d’écriture évaluant la lisibilité du texte et permettant d’entretenir son propre Zettelkasten. Il prend en charge la génération d’identifiants, aide à la liaison des fiches, à l’inscription des catégories et autres champs de métadonnées. Le logiciel repose par ailleurs sur d’autres programmes (dépendances) comme Better BibTeX (extension de Zotero). Ce dernier permet d’indexer et d’exporter des références bibliographiques en leur assignant un identifiant à noter sur les fiches.

Nous allons étudier certaines pratiques documentaires liées à la fiche et à la base de données par le biais de logiciels comme Zettlr, sélectionnés pour leurs approches de l’organisation et de la structuration d’une base documentaire.

1.3 Cardinalités

La cardinalité exprime le caractère « multi-directionnel »18 d’un contenu hypertextuel. L’application Roam Research (et son équivalent gratuit RemNote) est intéressante s’agissant de structurer les fiches de manière externe, mais aussi de manière interne : chaque fiche présente une hiérarchie des informations qu’elle contient et est reliée à d’autres.

1.3.1 Double maillage

Les fiches dans ce logiciel sont séquencées par des points. Chaque point est une information à laquelle il est possible d’ajouter d’autres points, « sous-informations » pouvant recevoir d’autres points etc.. Cette mise en abyme permet de hiérarchiser, d’ordonner les informations. Ce système sert typiquement à inscrire des couples terme-définition ou général-spécifique.

Les points sont indépendantes dans la mesure où il est possible dans une fiche d’intégrer le contenu d’un point d’une autre fiche. Ça n’est pas une liaison, mais un « appel » hypertexte noté entre doubles parenthèses. Il est également possible de mettre en place des liens hypertextes, d’une fiche à l’autre. Il ne s’agit plus d’une transclusion (interne), mais d’une liaison (externe). Si dans l’un des points (source) on inscrit un lien hypertexte noté entre doubles crochets vers une fiche (cible), la fiche d’origine est liée à la fiche cible, faisant abstraction de leurs strates internes (points).

Ainsi on différencie deux maillages : une hiérarchie interne des fiches (verticale, en arborescence) et des liaisons externes (horizontales, rhizomatiques). De cette manière, toute information est décentralisée, amovible et tout document peut être relié à un autre.

1.3.2 Liaisons régulières

Cette possibilité de faire circuler les points est très intéressante dans la perspective de tenir un carnet de recherche ; c’est ce que proposent explicitement Roam Research et RemNote quand ils réservent un bouton pour créer la « daily note », la note du jour. Si régulièrement on prend le temps de rédiger une fiche concernant le déroulé de sa production, il est pertinent en phase finale de parcourir ses fiches et de faire « appel » à ces points pour en organiser certains dans un document de synthèse. Ainsi les informations (points) conservent leur contexte (fiche, arborescence d’origine) et peuvent être réunies pour donner un nouveau contexte, une nouvelle vue d’un réseau de points. On évitera ainsi d’exposer dans nos fiches des informations ex nihilo, sans contexte.

L’étiquette est un autre moyen horizontal de parcourir les fiches. Dans un Zettelkasten l’identifiant unique permet de distinguer une fiche de manière non ambigüe, d’indiquer sa parenté et de faire des liaisons. Une étiquette permet quant à elle de regrouper des fiches qui ne sont pas nécessairement reliées entre elles. C’est par exemple très utile dans une démarche pluridisciplinaire où chaque fiche aurait un tag lié à sa discipline, mais partagerait des liens hypertextes interdisciplinaires. Les étiquettes peuvent aussi être plus fonctionnelles comme par exemple #a_completer.

2 Logiciel documentaire

Nous allons exploiter les pistes théoriques explorées jusqu’ici et nous intéresser à différents logiciels pour mettre en place un système de documentation personnelle souple et robuste. Souple parce qu’il doit rester ouvert à un maximum de processus d’éditorialisation et robuste parce qu’il est fondé sur un système aussi simple qu’il est possible, éliminant les erreurs et incompatibilités. Il est primordial dans une « documentation personnelle réticulaire »19 de limiter les répétitions et contradictions.

« Nos outils d’écriture exercent un impact majeur sur la production des connaissances. En effet : 1. Ils influencent la structuration des contenus. 2. Ils définissent les critères d’accessibilité des contenus. 3. Ils déterminent la pérennité ou l’obsolescence des contenus. »20

Les outils numériques ne sont pas neutres, il peuvent orienter, limiter notre saisie et la reflexion qui en découle, sa pérennité. Pour prévenir cela nous devons pleinement établir notre système documentaire, ses contenus, ses supports et ses dispositifs. On pourrait exclure un outil qui ne rentrerait dans ce cadre. Dans cet article nous présentons une démarche que même le système d’exploitation de l’ordinateur ne peut influencer :

Imaginons ce système documentaire une arborescence de fichiers interreliés par des appels hypertextes. Par leur liaison on construit une documentation, un circuit logique (fait de liens hypertextuels) d’information, dont l’atomisation en une multitude de fichiers permet d’appréhender chaque élément plus facilement pour envisager un tout. C’est le principe du réductionnisme cartésien : nous décomposons un problème complexe en « sous-problèmes » plus simples. D’un point de vue interne aux fiches cela donne les « puces » de Roam Research et d’un point de vue réticulaire, cela donne une arborescence de fichiers.

2.1 Dé-complexifier

Cette opération de division ne vise pas à simplifier (réduire) l’information, mais à la dé-complexifier. Qu’elles soient inscrites dans une arborescence plus ou moins profonde ne change rien à la finalité des informations, n’altère pas le fonctionnement de la base, mais permet aux utilisateurs de créer une architecture externe. Laquelle permet de mettre en place des dépendances, favorise la sérendipité et multiplie les potentialités de publication et d’édition.

Chaque fiche peut également être structurée par une architecture interne comprenant métadonnées et hiérarchie. Ainsi nous devons imaginer deux dimensions (cardinalité) :

Ces deux dimensions nous permettent d’anticiper une seconde étape de relecture, de remise en question du contenu de la base ou plus particulièrement d’une fiche : l’épreuve de la souplesse et de la robustesse de notre méthode. Il faut toutefois rester vigilant quant à la complexité de son sytème. Une méthode trop exigeante intellectuellement ou en équipement logiciel (dépendances) risque de faillir et la base, les milliers de fiches, avec elle.

2.2 Ouverture

2.2.1 Écriture pérenne

2.2.1.1 Texte brut

Pour être souple, notre système devrait débuter sur une base saine, une base libre, le texte brut. Il est fondamental sur nos ordinateurs, permet d’écrire les programmes informatiques et compose entre autres une grande partie de nos fichiers ainsi que les pages web. Ces fichiers sont omniprésents sans que l’on puisse s’en rendre compte et peuvent contenir du texte pour tous les usages, pour les humains, pour les machines, pour les deux.

Il est le matériau principal des développeurs qui recourent à des logiciels appelés éditeurs de texte comme Notepad++ (Windows), BBEdit (MacOs), Atom ou VSCode pour produire ces fichiers. Les logiciels de traitement de texte comme Word ou Writer produisent également des fichiers de ce format, mais remplis d’un code complexe (XML), fractionné dans une arborescence compressée. D’où la nécessité d’utiliser ces logiciels comme intermédiaires, à la fois pour la lecture et l’écriture.

« Plutôt que rapprocher l’écrivain du document final en diminuant le nombre de médiations, l’approche de Word implique une multiplication de médiations invisibles à l’utilisateur mais structurantes sur le contenu »21

Les éditeurs de texte permettent à l’inverse de contrôler précisément le contenu de nos fichiers et sont interchangeables. C’est essentiel dès que l’on veut contrôler un système documentaire et donc le contenu de ses composants.

2.2.1.2 Markdown

Selon les logiciels d’édition, la lecture des fichiers de texte brut peut être très uniforme. Toutes les caractères ont la même typographie, même taille, même graisse et souvent la même chasse. Ce sont autant de paramètres qui peuvent être modifiés par l’utilisateur et éventuellement varier en fonction de la syntaxe : selon le langage indiqué par l’utilisateur ou l’extension du fichier, le logiciel va analyser des chaînes de caractères normées et les colorer.

Contrairement aux syntaxes dites « lourdes » comme les différentes applications du XML, le Markdown est simple et léger. Sa syntaxe est facile à mémoriser et elle ne concurrence pas notre ponctuation. Ainsi le caractère # précède un titre, le caractère > précède une citation, le caractère - précède un élément de liste et le caractère * succède et précède à une chaîne en italique (il est doublé pour du gras). Les chaînes ainsi distinguées peuvent être personnalisées par les éditeurs pour faciliter la lecture/écriture.

Le Markdown étant conçu pour rédiger des textes, les contributeurs des éditeurs comme Zettlr ou Obsidian sont allés plus loins dans mise en forme syntaxique. La taille de caractères, leur graisse vont varier en fonction de la syntaxe. Les titres sont plus ou moins grands selon leur niveau, les citations sont légèrement en retrait et ce dans le but de proposer une hierarchie visuelle dans le document, d’augmenter sa lisibilité et le confort de lecture.

Ce sont des réglages inscrits dans une feuille CSS qu’il est possible de modifier pour ces deux logiciels. Cette configuration peut être modifiée à tout moment et partagée en même temps que le fichier texte pour reproduire (instancier) l’interface de lecture chez un autre utilisateur ou sur un autre logiciel. Ces styles n’affectent pas le contenu du fichier, seulement sa présentation.

2.2.1.3 Exploration des fiches

Les outils d’exploration des fiches varient en fonction des logiciels. Par exemple Obsidian dispose de deux strates de recherche, au niveau de la base et des fichiers.

C’est pour faciliter l’exploration des fichiers que l’on va chercher à établir un système d’étiquette et éventuellement de notation des noms de fichier. Par exemple, sur trois niveaux, les fichiers ci-dessous vont naturellement être rangés cet ordre avec un tri par ordre alphabétique :

Sur deux niveaux :

Les expressions régulières sont des outils de recherche puissants. Ils s’expriment comme des chaînes de caractères intégrées à la requête et précisant notre intention. On peut par exemple spécifier que l’on recherche une suite de mot ou une expression exacte. On peut inscrire des opérateurs logiques comme ET, OU, SANS. On peut encore indiquer si la saisie correspond au début ou à la fin d’un mot, d’une phrase, d’une ligne.

2.2.1.4 Édition numérique

Le Markdown est un langage conçu pour la publication. Sa syntaxe minimaliste est nativement supportés par de nombreux analyseurs syntaxiques (Parsedown, Showdown, Python-Markdown etc.) capables d’interpréter la nature des composants de notre texte et de le transformer. Pandoc est le plus polyvalent de ces logiciels puisqu’il nous permet de convertir nos fichiers Markdown en PDF, HTML, EPUB, en DOCX et bien d’autres. Ainsi, le Markdown permet de se « réapproprier ses données et [d’en] faciliter une diffusion ultérieure »22.

On peut traiter nos fichiers Markdown avec des outils de pagination pour produire des formats imprimables, ou créer de sites web. Par exemple, le programme Pandoc utilise un autre logiciel libre, LaTeX, pour mettre en forme les PDF convertis à partir de Markdown. Autre exemple, les générateurs populaires de blogs Jekyll et Hugo utilisent Markdown comme format pour le contenu et le transforment en pages web.

Revenir sur ces pratiques historiques et universelles de l’informatique avec le texte brut, c’est aussi avoir l’opportunité de découvrir certains outils de base de nos systèmes d’exploitation et avoir conscience de certaines notions qui sont habituellement gérées automatiquement et donc occultées. En d’autres termes c’est retrouver une littératie numérique, du contrôle.

2.2.1.5 Métadonnées

L’interprétation des métadonnées change beaucoup d’un éditeur Markdown à un autre. C’est pourtant la condition pour réaliser une base documentaire réticulaire, réaliser des liens entres les fiches, les placer dans des catégories.

La chaîne (identifiant) à placer entre double crochet pour créer un lien entre deux fiches varies d’un logiciel à l’autre :

Passer d’un outil à l’autre n’est possible qu’à condition de réadapter les métadonnées de nos fichiers. Il est important d’élaborer une notation en toute conscience de ces enjeux et de s’y tenir.

Une grande partie des éditeurs Markdown supportent un entête en YAML (YAML front matter). Il s’agit d’une section disposée en début de fichier, délimitée par des tirets ---. Cet entête peut contenir toutes les métadonnées souhaitées par l’utilisateur, qu’il s’agisse de nombres, de chaînes de caractères ou même de booléens (true, false : vrai ou faux). C’est par exemple le titre complet, la date de création, de modification, le nom de l’auteur, ses coordonnées. Les métadonnées se présentent sous forme de couples clés/valeur, un par ligne, soit par exemple date: 02/07/2020. Les métadonnées entrées doivent ensuite être utilisées par les outils d’édition et de visualisation et c’est là une problématique.

Obsidian a prévu le support du YAML Front Matter pour une prochaine mise à jour.

2.2.1.6 Encodage des caractères

Nous allons également devoir être attentifs à l’encodage. Certains éditeurs anglo-saxons encodent les caractères selon des tableaux d’encodage ne supportant pas les caractères avec accents. Le standard mondial est l’UTF-8 et il faut donc dans la mesure du possible aller chercher dans les paramètres du logiciel si c’est bien l’encodage utilisé. Les logiciels présentés dans cet article l’utilisent par défault.

L’UTF-8 nous permet de disposer de tous les caractères Unicode. Nous pouvons écrire dans presque toutes les langues et utiliser des symboles comme les flèches ou notes de musique. Le site https://unicode-table.com/ liste tous les caractères de l’encodage.

2.2.2 Stockage libre

Ensuite, il est utile de stocker ces fichiers dans l’espace d’un répertoire plutôt que dans l’espace d’un logiciel. C’est à dire enregistrer les fichiers à un emplacement choisi et pouvant être la cible d’autres programmes. Zettlr et Obsidian opèrent sur une base issue d’un répertoire cible d’où ils puisent les fichiers. Ils permettent d’effectuer des liaisons et recherches dans cet espace. Il est donc possible d’utiliser les deux logiciels simultanément sur un même fichier, tout est assurant un versionnement avec Git ou une synchronisation dans le cloud. Le logiciel Notable propose cette même ouverture tout en gardant la simplicité des logiciels de note comme Notes d’Apple ou Google Keep. Le jour où ces logiciels disparaissent, nos fichiers sont toujours là, bien lisibles, et tant qu’il nous reste un ordinateur.

Enregistrer nos fichiers dans l’espace d’une application n’est pas nécessairement un mal tant qu’on peut être certain qu’elle ne faillira pas et qu’il nous reste une solution d’export massif et libre. TiddlyWiki est un logiciel dont les contenus, fonctionnalités et dépendances sont intégrés dans un seul fichier HTML. Lequel intègre du JavaScript pour fonctionner et s’auto-régénérer à chaque modification. Ce fichier est largement compatibles avec les navigateurs modernes et peut être facilement versionné, partagé, mis en ligne. Enfin, il est possible en un clic d’exporter tout son contenu, notamment dans des fichiers distincts.

2.2.3 Dépendances

On choisi un logiciel pour ses fonctionnalités, mais aussi sa capacité à supporter des extensions qui ne le font pas perdre en stabilité.

TiddlyWiki peut recevoir différentes extensions qui modifient ses fonctionnalités, en ajoute. Il suffit de se rendre dans ses paramètres et d’utiliser l’assistant d’installation pour augmenter les fonctionnalités de notre fichier de notes en un clic. L’extension CodeMirror de faire de TiddlyWiki un petit éditeur de code, KaTeX d’intégrer des formules mathématiques mises en forme. Il existe beaucoup d’autres qui vous permettent d’importer notre bibliographie, de colorer notre code. L’extension Stroll nous permet d’ajouter certaines fonctionnalités de Roam Search, mais elle ne fait pas parti de la liste officielle des extensions : sa stabilité n’est pas garantie.

Tous nos fichiers Markdown reposant dans des répertoires ouverts peuvent profiter d’une diversité d’outils externes. Zkviz est un petit logiciel Python permettant de visualiser son Zettelkasten en graphe. Il compense ainsi le fait que Zettlr ne propose pas cette visualisation.

2.3 Rigueur

2.3.1 Faire le lien

Le logiciel web DokuWiki permet d’éviter qu’une idée se retrouve seule, sans parent ou enfant. C’est quelque chose qui peut facilement arriver lorsque on créer les fichiers un à un, sans préalablement les relier. DokuWiki n’a aucun bouton « nouvelle page ». Il n’est possible de créer un fichier (texte brut) qu’à condition d’inscrire un lien sur une page source vers ce qui deviendra l’identifiant (URL) de la page cible. Suivre ce lien entraîne la création de la cible si aucune page ne correspond à l’identifiant.

Ce qui est un impératif technique sur DokuWiki, dû à sa construction, peut devenir une règle dans l’extension de notre base de connaissances. Sur Obsidian, Zettlr et Notable il est possible d’inscrire dans la fiche source un lien mort, pointant vers un fichier (cible) inexistant. Cliquer sur ce lien créera le fichier cible nous permettant de l’éditer. Ainsi, nous sommes certains d’avoir un cheminement, au moins linéaire, vers une idée.

3 Vues

Notre base de données est une « cité savante »23 au sens de Franck Cormerais. Il évoque et représente dans un tableau24 l’intérêt de la valorisation dans le domaine de l’ingénierie des systèmes d’information, comme avec notre système de fiche. Ainsi, la valorisation constitue l’ « expérience de la praticabilité » de notre système. C’est par l’« adoption d’un système de valeurs et de ses représentations »25 que nous obtenons le moyen d’appréhender nos objets numériques, nos fiches : elles n’ont véritablement de sens que dans la structure et dans la représentation (typo)graphique. Ces « représentations » sont appelées « vues ». Il est pertinent d’en adopter plusieurs, voire de les combiner pour appréhender complètement une « pile » de fiche.

3.1 Simplifier

Nous parlions au début du chapitre précédent de de-complexifier l’information en atomisant sa saisie. Nous allons maintenant parler de la simplifier. C’est une tout autre approche, pertinente dans le cadre des vues. Ainsi, l’ensemble des modules (fiches) forme une arborescence complexe et quasi illimité si l’on considère que nos fiches ne « pèsent » que quelques kilo-octets. Nos interfaces sont à l’inverse limitées. D’abord en taille, celle de nos différents écrans, et ensuite en charge cognitive ; une interface trop complexe ne peut être la médiatrice d’un outil quotidien censé accompagner une réflexion et non la stresser par de trop nombreuses possibilités.

Il n’est pas pertinent de présenter l’intégralité de nos fiches. Bien que toutes les données et métadonnées soient effectivement inscrites dans la base de connaissance, il faut équilibrer la quantité d’information affichée quitte à la séquencer en plusieurs vues. Cela vaut aussi bien pour la lecture que l’écriture. Chacune sera l’occasion d’appréhender une quantité limitée d’informations pour un usage défini. La difficulté est de fluidifier le passage d’une vue à l’autre, ce que réalise parfaitement le logiciel Notion.

3.2 Vue mutliples

L’application Notion permet de structurer une arborescence complexe de manière très simple. Elle fonctionne essentiellement sur la notion de base de données et de vues. Ainsi, ce qui apparaît sur les fiches comme une liste, un tableau, un calendrier ou un tableau kamban est une seule et même base de fiches. Selon les métadonnées des fiches, elles vont pouvoir être rangées par date sous forme de calendrier, par étiquette sous forme de tableau kamban, par tag sous forme de tableau ou de liste et avec à chaque fois la possibilité de sélectionner des critères de tri, d’affichage de la base.

Il est également possible de changer de vue à tout moment, de passer de la liste au calendrier : les mêmes données changent simplement de disposition visuelle (représentation) et donc contextuellement de sens.

3.3 Vue unitaire

C’est la vue interne des fiches. C’est par elle que l’on voit les modifications à apporter, les fiches à (dé)connecter. Régulièrement il faut parcourir sa base et questionner ses choix, faire de la maintenance.

3.3.1 Présentation du texte

On distingue trois modes de présentation du texte, adaptés selon les besoin et les goûts de chacun :

La vue varie selon éditeurs et lecteurs Markdown. Zettlr adopte un affichage WYSIWYM : nous pouvons voir simultanément la syntaxe Markdown et son résultat. Il y a une exception pour les tableaux dont la syntaxe est cachée au profit d’une affichage WYSIWYG. Obsidian ajoute à cela une vue lecture, occultant la syntaxe pour ne laisser que son effet. TiddlyWiki et DokuWiki fonctionnent également selon deux modes, édition WYSIWYC et lecture WYSIWYG. L’éditeur Typora propose deux modes d’édition, le premier WYSIWYG et le second WYSIWYC.

Tous ces logiciels proposent un sommaire, un index des titres de la fiche avec associé à chacun un lien interne sous forme d’ancre. Ainsi, l’architecture interne peut être complexe et le parcours du document aisé. En cela le rendu typographique, notamment des titres, est important.

Pour les développeurs, de nombreux éditeurs proposent également la coloration syntaxique des blocs de code. D’autres ne vont pas interpréter les notes en bas de page ou même les hyperliens.

Obsidian et Zettlr proposent une vue « backlink ». Pour une fiche (son identifiant) donné, ils nous permettent de retrouver toutes les autres fiches qui lui font référence. Ainsi nous pouvons nous déplacer de manière non linéaire.

3.4 Vue réticulaire

Il s’agit d’adopter une vue graphique et entière de la base. Chaque fiche est un nœud relié à d’autres selon les liens hypertextes effectifs entre elles.

Par cette vue on ne pourra appréhender les liaisons, mais aussi étudier les épicentres, la densité, constater que des fiches sont plus isolées voire orphelines et ainsi (re)penser la place réticulaire des fiches plutôt que leurs liaisons directes :

« [l’intérêt de la vue graph] ne réside pas dans ce qu’elle suggère des connexions entre les savoirs représentés (qui sont éphémères), mais dans sa valeur réflexive. En me donnant une vision d’ensemble, elle m’aide à passer d’une représentation mentale limitée (liens note à note) à une conscience plus globale de la structure documentaire que je suis en train de produire. Par exemple, je constate qu’il existe déjà des notes qui servent de passerelle entre différents champs de savoirs, et cela m’aide à voir l’aménagement qu’il faudrait faire (ouvrir à certains endroits, fermer à d’autres). »26

Depuis cette vue, le lien importe moins que la structure et le travail réticulaire.

3.5 Modularité

Le logiciel Obsidian permet aisément de passer de la vue « fiche » à la vue « réseau », voire de les utiliser côte à côte. L’interface de ce logiciel fonctionne avec des fenêtres. Il est possible d’en afficher quatre sur l’espace central (soit potentiellement une vue « réseau » et trois vues « fiche »), mais aussi de les disposer dans deux panneaux latéraux, à gauche et à droite. Ces panneaux à la surface variable fonctionnent par onglet et il est possible d’y disposer astucieusement les vues.

Obsidian recourt à la bibliothèque SigmaJs pour afficher son graphe ; Zettlr repose sur la bibliothèque ChartJs pour afficher la courbe de progression journalière, sur CodeMirror pour interpréter le Markdown inscrit dans les fichiers et obtenir un rendu visuel ; avec Notable ils reposent sur MermaidJs pour afficher des schémas ainsi que sur ShowdownJs pour interpréter le Markdown. Ils reposent tous sur ElectronJs. Les vues de ces logiciels reposent sur des programmes externes (dépendances) open source. Tout le monde peut reprendre ces mêmes composants et créer son propre éditeur Markdown, ses propres outils de visualisation.

4 Conclusion

On peut retrouver des traces des moyens documentaires utilisés aujourd’hui au début du 20ème siècle. La rigueur et les intentions universalistes de nos aînés ont construit l’informatique moderne, l’ont façonnée, dans la mesure où les informaticiens se retrouvent dans certaines problématiques des documentalistes : la gestion d’une base d’information et d’une variété de contenus, l’importance des métadonnées et de la modularité, l’adressage des requêtes, les interfaces d’usage et la richesse du partage.

Les pratiques que nous avons évoqués permettent d’entreprendre une conception et un usage sain et pérenne de sa base de connaissances et ainsi retrouver les intentions des théoriciens du document et de l’hypertexte. Ce sont eux qui ont fourni le terreau qui permet à des logiciels comme Zettlr ou DokuWiki d’apparaître pour fournir à tous des moyens de documentation personnelle aboutis.

BERNERS-LEE, Tim, 1990. The original proposal of the WWW, HTMLized. In : W3C [en ligne]. mai 1990. [Consulté le 13 août 2020]. Disponible à l'adresse : https://www.w3.org/History/1989/proposal.html.

BERT, Jean-François, 2019. Une histoire de la fiche érudite [en ligne]. Villeurbanne : Presses de l’enssib. [Consulté le 2 juillet 2020]. Papiers. ISBN 978-2-37546-078-8. Disponible à l'adresse : http://books.openedition.org/pressesenssib/6211.

BUSH, Vannevar, 1945. As We May Think. In : The Atlantic [en ligne]. 1 juillet 1945. [Consulté le 22 juin 2020]. Disponible à l'adresse : https://www.theatlantic.com/magazine/archive/1945/07/as-we-may-think/303881/.

CORMERAIS, Frank, 2014. Humanités digitales et (ré)organisation du savoir. In : LE DEUFF, Olivier (éd.), Le temps de humanités digitales. Éditions FYP. S.l. : s.n. ISBN 978-2-36405-155-5.

DEHUT, Julien, 2018. En finir avec Word ! Pour une analyse des enjeux relatifs aux traitements de texte et à leur utilisation. In : L’Atelier des Savoirs [en ligne]. 23 janvier 2018. [Consulté le 3 mai 2020]. Disponible à l'adresse : https://eriac.hypotheses.org/80.

ERTZSCHEID, Olivier, 2002. Les enjeux cognitifs et stylistiques de l’organisation hypertextuelle : le Lieu, Le Lien, Le Livre [en ligne]. phdthesis. S.l. : Université Toulouse le Mirail - Toulouse II. [Consulté le 26 juin 2020]. Disponible à l'adresse : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00006260.

LE DEUFF, Olivier, 2017. Emanuel Goldberg, le pionnier oublié des systèmes d’information. In : Savoir CDI [en ligne]. avril 2017. [Consulté le 13 août 2020]. Disponible à l'adresse : https://www.reseau-canope.fr/savoirscdi/societe-de-linformation/le-monde-du-livre-et-des-medias/les-penseurs-de-linformation-de-la-documentation-et-de-la-pedagogie/emanuel-goldberg-le-pionnier-oublie-des-systemes-dinformation.html.

LE DEUFF, Olivier, 2019. La fiche entre économie informationnelle et attentionnelle The index card between informational and attentional economy. In : [en ligne]. 4 avril 2019. [Consulté le 23 juin 2020]. Disponible à l'adresse : https://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_02093324.

LE DEUFF, Olivier et PERRET, Arthur, 2019. Paul Otlet and the Ultimate Prospect of Documentation. In : Proceedings from the Document Academy [en ligne]. 13 décembre 2019. Vol. 6, n° 1. [Consulté le 7 août 2020]. DOI 10.35492/docam/6/1/9. Disponible à l'adresse : https://ideaexchange.uakron.edu/docam/vol6/iss1/14/.

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PERRET, Arthur, 2020. Visualisation d’une documentation personnelle réticulaire. In : Arthur Perret [en ligne]. 25 juin 2020. [Consulté le 3 juillet 2020]. Disponible à l'adresse : https://arthurperret.fr/2020/06/25/visualisation-documentation-personnelle-reticulaire/.

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VITALI-ROSATI, Marcello, SAURET, Nicolas, FAUCHIÉ, Antoine et MELLET, Margot, 2020. Écrire les SHS en environnement numérique. L’éditeur de texte Stylo. In : Revue Intelligibilité du Numérique [en ligne]. 2020. n° n°1|2020. [Consulté le 7 juillet 2020]. Disponible à l'adresse : http://intelligibilite-numerique.numerev.com/index.php/numeros/n-1-2020/13-vie-de-la-recherche/18-ecrire-les-shs-en-environnement-numerique-l-editeur-de-texte-stylo.


  1. Serres (2015)↩︎

  2. Sahut (2016)↩︎

  3. (Le Deuff, Perret, 2019, p. 6)↩︎

  4. ibid p.2↩︎

  5. (Bush, 1945, p. 17)↩︎

  6. (Bush, 1945, p. 17)↩︎

  7. (Bert, 2019, introduction)↩︎

  8. ibid, chapitre 2↩︎

  9. Le Deuff (2017)↩︎

  10. (Masure, 2014, p. 30)↩︎

  11. Le Deuff (2019)↩︎

  12. Bert (2019)↩︎

  13. (Bert, 2019, p. 1)↩︎

  14. (Ertzscheid, 2002, II)↩︎

  15. (Ertzscheid, 2002, p. 4)↩︎

  16. Berners-Lee (1990)↩︎

  17. (???)↩︎

  18. (Ertzscheid, 2002, II)↩︎

  19. Perret (2020)↩︎

  20. Vitali-Rosati et al. (2020)↩︎

  21. Vitali-Rosati et al. (2020)↩︎

  22. Dehut (2018)↩︎

  23. (Cormerais, 2014, p. 130)↩︎

  24. ibid, p.133↩︎

  25. ibid, p.132↩︎

  26. Perret (2020)↩︎